
Lettre ouverte
LE QUÉBEC A-T-IL ENCORE BESOIN DE LEADERS SPIRITUELS ?
Dans une société où les repères collectifs se recomposent et où la sécularisation s’est durablement installée, la question semble légitime, mais elle en soulève une autre, plus fondamentale : qui accompagne encore l’humain dans ses moments de fracture, d’angoisse, de recherche de sens ?
Chaque jour, loin du tumulte médiatique, des hommes et des femmes se tiennent aux côtés de ceux que nos systèmes échappent : malades, détenus, jeunes en difficultés, familles à bout de souffle, personnes seules, en errance, immigrantes, en fin de vie. Ils n’apportent pas de solutions miracle, mais une présence attentive, une parole apaisante, une écoute vraie. Ils tissent des liens là où il n’y a presque plus rien. Cela est un acte social. Cela aussi est du leadership.
La sociologue Hartmut Rosa, dans sa théorie de la résonance[1], affirme que ce qui sauve l’être humain du désespoir n’est ni la maîtrise technique, ni l’accumulation de biens, mais la capacité à entrer en relation vivante avec le monde, avec d’autres êtres, des expériences, des voix qui répondent. Les leaders spirituels, dans leur diversité, sont porteurs de cette capacité relationnelle : ils créent des espaces de résonance dans un monde souvent muet.
Le philosophe canadien Charles Taylor, dans son ouvrage majeur L'Âge séculier[2], explique que malgré la sécularisation, la quête de sens reste une dimension fondamentale de l’existence humaine. Cette quête, loin de s’effacer, se transforme et appelle à des formes nouvelles d’accompagnement, d’écoute et de présence. C’est précisément ce rôle que jouent les leaders spirituels, en offrant des espaces où les individus peuvent retrouver un horizon d’espérance et de solidarité.
Le Québec n’est pas étranger à cette réalité. Depuis les débuts de la Nouvelle-France, notre société s’est façonnée autour de leaders spirituels, femmes et hommes qui ont mis leur vie au service du bien commun. Pensons à Jeanne Mance, fondatrice de l’Hôtel-Dieu, à Monseigneur François de Laval, défenseur des peuples autochtones, à Marie de l’Incarnation et Marguerite Bourgeoys, éducatrices infatigables, à Marguerite d’Youville, pionnière des soins aux exclus, et à Émilie Gamelin, qui consacra sa vie à l’aide aux plus démunis. Plus près de nous, le frère André, humble portier devenu symbole de compassion, Monseigneur Ignace Bourget, bâtisseur d’institutions sociales.
Ils n’étaient pas parfaits et leurs actions n’étaient pas que religieuses : elles étaient profondément humaines et sociales. Ce qu’ils ont transmis, ce sont des gestes de soin, de courage, d’attention, des gestes qui ont donné forme à un Québec où l’accueil, l’inclusion et l’entraide sont encore perçus comme des repères fondamentaux.
Aujourd’hui, ce tissu se fragilise. La solitude grandit, la santé mentale vacille, le dialogue se fragmente. Et pourtant, près d’un adulte sur trois affirme être en quête de sens, selon un récent sondage publié par Le Verbe[3]. Le besoin d’accompagnement, de communauté, de repères n’a pas disparu : il s’est déplacé, rendu plus urgent par le vide laissé par les anciennes structures.
Les œuvres de bienfaisance et organismes communautaires, souvent portés par ces mêmes valeurs, contribuent puissamment à notre équilibre collectif. Au Québec, ce secteur a un impact concret sur la santé, l’éducation, l’environnement, la justice sociale et même les enjeux liés à l’utilisation éthique des technologies. Leur dynamisme repose sur des personnes formées à dépasser les intérêts individuels pour penser et servir le bien commun, avec discernement et lucidité face aux défis complexes de notre époque.
Voilà pourquoi les lieux de formation portés par des valeurs d’écoute, de justice, de compassion et de paix sont essentiels. Non pour préserver des systèmes dépassés, mais pour nourrir les consciences, accompagner les vocations humaines et offrir à la société des leaders capables de répondre avec profondeur à la détresse contemporaine.
Le Grand Séminaire de Montréal est l’un de ces lieux rares où se prépare, dans la discrétion mais avec une portée profonde, l’avenir spirituel et humain de notre société. Par sa mission de former des leaders enracinés dans la foi et ouverts aux réalités actuelles, il façonne des hommes et des femmes capables d’écouter, de discerner et d’agir avec justesse dans un monde en pleine transformation. Il ne s’agit pas de recréer un passé révolu, mais de faire vivre, avec lucidité et courage, les repères moraux et sociaux qui soutiennent notre vivre-ensemble.
Le Québec change, c’est un fait, mais si nous voulons qu’il demeure un lieu d’accueil, de paix, de justice et de solidarité, nous devons continuer de soutenir celles et ceux qui, dans le silence et la constance, aident les autres à tenir debout.
Alexandrina Diac
Directrice générale
Fondation du Grand Séminaire de Montréal
www.fgsm.org
[1] Hartmut Rosa, Résonance: Une sociologie de la relation au monde, Édition La Découverte E, 2018
[2] Charles Taylor, L'Âge séculier, Édition Boréal, 2011
[3] La quête de sens au sein de la population québécoise, Le Verbe, Leger, 2024
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