Homélie du dimanche 17 juillet 2022

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Roland est un jeune curé du diocèse de Trente (dans le nord de l’Italie), responsable d’une dizaine de communautés paroissiales.

Les trois premières vagues de la pandémie avaient profondément affecté les habitants de sa région. Plusieurs personnes avaient été touchées par le virus, beaucoup d’entre elles étaient mortes. Peu de familles avaient été, en quelque sorte, épargnées par ce fléau. La plupart d’entre elles avaient été affectées par la douleur de la perte d’un être cher. Toutes les personnes avaient peur et elles ne quittaient la maison que pour se rendre au travail ou aller acheter des produits de première nécessité.

Pendant le Carême de l’année dernière (2021), en discutant avec les membres du conseil pastoral de sa paroisse, l’abbé Roland s’est demandé comment on pourrait donner une voix à la douleur que tout le monde ressentait, mais qui risquait de rester muette, enfermée dans la sphère privée.

Il a cependant fallu beaucoup de tact. Il fallait que ce soit un moment très discret et respectueux, mais en même temps porteur d’une forte symbolique. Ils ont donc décidé de réaliser un chemin de Croix, non pas entièrement préparé par eux-mêmes, mais en demandant la collaboration des personnes et des organisations de la région. Ils ont donc demandé cette collaboration à une pharmacienne, à un médecin, à deux associations, à un enseignant, à un travailleur dans le domaine social, à une famille, etc.

Ce qui a été surprenant, c’est qu’ils ont tous accepté l’invitation, préparant chacun une station du chemin de Croix.

La soirée du chemin de Croix était touchante. Chacun, à sa manière, avait apporté son propre témoignage de vie et de foi qui a permis à toutes les personnes présentes de vivre ce moment de peur et de douleur sous un angle différent, de donner un nouveau sens à leur propre expérience de la douleur et de la souffrance. Là où ils pensaient qu’il y avait un manque, ils se sont rendus compte qu’en réalité il y avait une Présence, une parole d’Évangile qui ne venait pas des hommes et des femmes de l’Église, mais des gens mêmes.

Que s’est-il passé ? Il leur est arrivé ce qui était arrivé à Abraham aux chênes de Mambré. (cf. Gn 18)

Abraham et Sara sont désormais vieux et sans enfants. La promesse de descendance que Dieu leur avait faite semble maintenant terminée. En effet, Sara était à ce stade de la vie où une femme ne peut plus avoir d’enfants. Mais avoir des enfants était leur rêve ! Leur désir ! (cf. Gn 16-17)

Ce vieil homme, Abraham, est assis à l’entrée de sa tente, au moment le plus chaud de la journée (cf. Gn 18,1), c’est-à-dire au moment où rencontrer quelqu’un est presque impossible. Car personne ne se mettrait en route au moment le plus chaud de la journée.

À un certain moment, Abraham lève les yeux et voit ces trois hommes dont nous ne connaissons ni l’origine, ni le nom, ni la raison de leur voyage, et surtout nous ne savons pas depuis combien de temps ils étaient là, quand ils y étaient arrivés. De plus, ils ne disent pas un mot. Ils se tiennent simplement là, devant lui. (cf. Gn 18,2a)

Dès qu’Abraham prend conscience de leur présence, il risque un mot d’amitié avec eux et pose toute une série de gestes de bienvenue et d’accueil. Il les traite avec un profond respect, leur offre de l’eau et de la nourriture. (cf. Gn 18,2b-5ab.6-8)

Et, eux, ils acceptent (cf. Gn 18,5c)

Je ne sais pas si je suis en train de bien me faire comprendre, mais je fais le parallèle avec le fait que l’abbé Roland et le conseil pastoral ont fait comme Abraham : ils ont levé les yeux et se sont aperçus que des gens étaient devant eux. Les gens étaient déjà là. Ils ne les considéraient pas comme les destinataires de leurs plans. Ils ont risqué un mot d’amitié, de partage avec eux : après tout, ils étaient tous dans le même bateau, celui de la souffrance, de la douleur et de la mort causées par la Covid. Ils les ont invités à partager un repas qu’ils ont voulu préparer et leur offrir : un chemin de Croix. Et tous ceux à qui l’invitation a été lancée ont accepté.

Et de même qu’Abraham et Sara, après avoir nourri les invités ou l’hôte – car à la fin on ne sait plus s’ils sont trois ou un seul – ils ont reçu à leur tour, du voyageur, ce qui peut nourrir leur avenir et leur espérance (à savoir, l’annonce d’un enfant) (cf. Gn 18,10a) ; de même les communautés paroissiales – dont l’abbé Roland a la charge – ont reçu ce qui peut nourrir leur espérance et leur avenir : l’écoute de la Parole de Dieu dans la vie des gens.

C’est paradoxal, mais à la lumière des textes bibliques d’aujourd’hui et du témoignage de ces communautés paroissiales de l’abbé Roland, ce qui nous fait grandir, ce qui peut nourrir notre avenir, ce qui peut encore aujourd’hui donner à l’Église l’espoir d’être à nouveau mère, d’avoir de nouveaux enfants, malgré son visage toujours vieillissant, ne réside pas d’abord dans l’invention de nouvelles propositions pour attirer les autres.

Ce qu’il faut, c’est lever les yeux et se rendre compte que le Seigneur passe encore aujourd’hui. Il est même déjà là, devant nous, présent dans la vie des gens de notre quartier.

Si nous risquons une rencontre avec les gens, il nous parle de nouveau, en ouvrant un nouvel avenir.

Cela nécessite certainement un regard éclairé et une oreille attentive. C’est la (seule) chose nécessaire que Marie a faite sienne en accueillant Jésus dans sa maison (cf. Lc 10,39)

Nous pourrons alors cesser d’être des communautés chrétiennes mécontentes, épuisées par les « nombreux services » fournis par de moins en moins de personnes. Ce qui est alors le sentiment et l’attitude que Marthe ressent. (cf. Lc 10,40)

Nous pouvons alors commencer à détourner le regard du passé, souvent évoqué avec une certaine nostalgie. Tout comme nous pouvons cesser de donner plus de poids que nécessaire aux données parfois un peu dévastatrices de l’effondrement du consensus de l’Église.

Nous pouvons être une autre Église, peut-être moins visible, mais qui écoute et reçoit avec gratitude. Une Église qui sait encore apprécier la présence du Seigneur qui nous visite. Une Église qui est libre de toute anxiété inutile, de toute anxiété de résultats. Une Église contente d’elle-même.

© Andrea Magnani
Prêtre du diocèse de Vérone (Italie)
Prêtre invité dans les paroisses de Notre-Dame-de-Foy et de la Transfiguration-du-Seigneur (Québec)
Doctorant en Théologie Pratique à la Faculté de théologie et sciences religieuses de l’Université Laval (Québec)
andrea.magnani.1@ulaval.ca

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